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alliés dans la lutte qu’ils livraient à l’aristocratie, firent décider qu’on prendrait les juges dans leurs rangs. Cicéron alla plus loin ; il tenta de faire d’eux le fond de ce grand parti modéré qu’il voulait créer. Il savait qu’il pouvait compter sur leur dévouement, Il leur appartenait par la naissance ; il avait fait rejaillir sur eux l’éclat qui entourait son nom ; il n’avait jamais négligé de défendre leurs intérêts devant les tribunaux ou dans le sénat. Il comptait bien aussi qu’ils lui sauraient gré de vouloir augmenter leur importance et les appeler à un grand avenir politique.

Toutes ces combinaisons de Cicéron semblèrent d’abord très heureusement réussir ; mais, à dire le vrai, le mérite de ce succès revient surtout aux circonstances. Cette grande coalition des modérés, dont il s’est applaudi comme de son plus bel ouvrage, se fit presque d’elle-même sous l’empire de la peur. Une révolution sociale semblait imminente. La lie de tous les anciens partis, plébéiens misérables et grands seigneurs ruinés, vieux soldats de Marius et proscripteurs de Sylla, s’était réunie sous la conduite d’un chef audacieux et habile qui leur promettait une répartition nouvelle de la fortune publique. Cette réunion décida ceux qu’ils menaçaient à s’unir aussi pour se défendre. La frayeur fut plus efficace que ne l’auraient été sans elle les plus beaux discours, et l’on peut dire en ce sens que Cicéron fut peut-être plus redevable de cette fusion, qu’il regardait comme le salut de sa politique, à Catilina qu’à lui-même. La communauté des intérêts amena donc, au moins pour un temps, la conciliation des opinions. Ce furent les plus riches et par suite les plus compromis, c’est-à-dire les chevaliers, qui naturellement furent l’âme du parti nouveau. À côté d’eux se rangèrent les plébéiens honnêtes, qui ne voulaient pas qu’on allât au delà des réformes politiques, et ces grands