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prononcés au forum ou dans le sénat sont des éloges ou des invectives. C’est là qu’il est sans rival, c’est là que, suivant une de ses expressions, son éloquence s’exalte et triomphe ; mais des invectives et des éloges, si beaux qu’ils soient, ne sont pas tout à fait pour nous l’idéal de l’éloquence politique, et nous réclamons d’elle autre chose aujourd’hui. Tout ce qu’on peut dire pour justifier les discours de Cicéron, c’est qu’ils étaient parfaitement appropriés à son temps, et que leur caractère s’explique par celui des circonstances au milieu desquelles ils furent prononcés. La parole alors ne menait plus l’État, comme aux beaux temps de la république. D’autres influences l’avaient remplacée : c’était, dans les élections, l’argent et les brigues des candidats ; dans les discussions de la place publique, le pouvoir occulte et terrible des sociétés populaires ; c’était surtout l’armée, qui, depuis Sylla, élève ou renverse tous les gouvernements. Au milieu de ces forces qui la dominent, l’éloquence se sent impuissante. Comment pourrait-elle conserver encore cet accent qui commande, ce ton impérieux et résolu de quelqu’un qui sait son pouvoir ? A-t-elle besoin de faire appel à la raison et à la logique, d’essayer de s’imposer aux convictions par un débat serré et nerveux, quand elle sait que les questions qu’elle traite se décident ailleurs ? M. Mommsen fait malignement remarquer que, dans la plupart de ses grands discours politiques, Cicéron plaide des causes déjà gagnées. Quand il publia les Verrines, les lois de Sylla sur la composition des tribunaux venaient d’être abolies. Il savait bien que Catilina était décidé à quitter Rome lorsqu’il prononça la première Catilinaire, où il le conjurait si pathétiquement de s’en aller. La seconde Philippique, qui semble si courageuse quand on la suppose prononcée en face d’Antoine tout-puissant, ne fut rendue publique qu’au moment où Antoine s’enfuyait vers la Gaule cisalpine. À quoi donc ont