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les honnêtes gens pour les convaincre, il me semble difficile de le refuser à Cicéron. Il savait parler au peuple et s’en faire écouter. Il l’a quelquefois dominé dans ses emportements les plus furieux. Il lui a fait accepter ou même applaudir des opinions contraires à ses préférences. Il a paru l’arracher à son apathie et réveiller en lui, pour quelques moments, une apparence d’énergie et de patriotisme. Ce n’est pas sa faute si ses succès n’ont pas eu de lendemain, si après ces beaux triomphes d’éloquence la force brutale est restée maîtresse. Au moins a-t-il fait avec sa parole tout ce que la parole pouvait faire alors. Je reconnais cependant qu’il manque à son éloquence politique ce qui manquait à son caractère. Elle n’est nulle part assez résolue, assez décidée, assez pratique. Elle est trop préoccupée d’elle-même et pas assez des questions qu’elle traite. Elle ne les aborde pas franchement et par leurs grands côtés. Elle s’embarrasse de phrases pompeuses, au lieu de s’appliquer à parler cette langue précise et nette qui est celle des affaires. Quand on la regarde de près et qu’on entreprend de l’analyser, on trouve qu’elle se compose surtout de beaucoup de rhétorique et d’un peu de philosophie. C’est de la rhétorique que viennent tous ces arguments agréables et piquants, toutes ces finesses de discussion, et aussi toute cette ostentation de pathétique qu’on y rencontre. La philosophie a fourni ces grands lieux communs développés avec talent, mais qui ne tiennent pas toujours très bien au sujet. Il y a là trop d’artifice et de procédé. Un débat serré et simple conviendrait mieux à la discussion des affaires que ces subtilités et ces émotions ; ces grandes tirades philosophiques seraient avantageusement remplacées par une exposition nette et sensée des principes politiques de l’orateur et des idées générales qui règlent sa conduite. Malheureusement, comme je l’ai dit, Cicéron a conservé en abor-