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lui qu’on peut vraiment dire qu’il se chargeait indifféremment de toutes les causes, qu’il changeait d’opinion avec chaque procès, qu’il mettait son art et sa gloire à trouver d’excellentes raisons pour appuyer tous les sophismes. Jamais, dans les écoles antiques, le jeune homme qui s’exerçait à la parole n’entendait dire qu’il est nécessaire d’être convaincu et convenable de parler selon sa conscience. On lui apprenait qu’il y a différentes espèces de causes, celles qui sont honnêtes et celles qui ne le sont pas (genera causarum sunt honestum, turpe, etc.[1]), sans avoir soin d’ajouter qu’il fallait éviter ces dernières. Au contraire, on lui donnait le goût de s’en charger de préférence, en exagérant le mérite qu’il y avait à y réussir. Après lui avoir appris comment on défend et on sauve un coupable, on n’hésitait pas à lui enseigner les moyens de déconsidérer un honnête homme. Telle était l’éducation que recevait l’élève des rhéteurs, et, une fois qu’il était sorti de leurs mains, il ne manquait pas une occasion d’appliquer leurs préceptes. Par exemple, il ne commettait pas la faute de garder quelque modération et quelque retenue dans ses attaques. En se condamnant à être juste, il se serait privé d’un élément de succès auprès de cette foule mobile et passionnée qui applaudissait aux portraits satiriques et aux invectives violentes. La vérité ne le préoccupait pas plus que la justice. C’était un précepte des écoles d’inventer, même dans les causes criminelles, des détails piquants et imaginaires qui réjouissaient l’auditoire (causam mendaciunculis adspergere[2]). Cicéron cite avec de grands éloges quelques-uns de ces mensonges agréables qui ont peut-être coûté l’honneur ou la vie à de pauvres gens qui avaient le malheur d’avoir des adversaires trop spirituels ; et, comme

  1. Ad Herenn., I, 3.
  2. De orat., II, 59.