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pour lui donner leurs suffrages. Aucun homme politique de ce temps, et il y en avait de bien plus grands que lui, n’est arrivé aussi facilement aux premières dignités. Caton a subi plus d’un échec, César et Pompée ont eu besoin de coalitions et de brigues pour être toujours heureux. Cicéron est presque le seul dont toutes les candidatures aient réussi du premier coup, et qui n’ait jamais été forcé de recourir aux moyens auxquels on demandait ordinairement le succès. Au milieu de ces marchés scandaleux qui livraient les honneurs aux plus riches, malgré ces traditions tenaces qui semblaient les réserver aux plus nobles, Cicéron, qui n’avait pas de naissance et qui avait peu de fortune, a toujours vaincu tous les autres. Il a été nommé questeur, édile ; il a obtenu la préture urbaine, qui était la plus honorable ; il est arrivé au consulat la première fois qu’il l’a demandé, aussitôt que les lois lui permettaient d’y prétendre, sans qu’aucune de ces dignités ait rien coûté à son honneur ou à sa fortune.

Il importe de remarquer qu’au moment où il fut nommé préteur, il n’avait encore prononcé aucun discours politique. Jusqu’à l’âge de quarante ans, il ne fut que ce que nous appelons un avocat, et il n’éprouva pas le besoin d’être autre chose. L’éloquence judiciaire menait donc à tout ; quelques succès brillants devant les tribunaux suffisaient pour pousser un homme dans les dignités publiques, et personne ne s’avisa de demander à Cicéron d’autre preuve de sa capacité pour les affaires au moment où on allait lui confier les premiers intérêts de son pays et l’investir du pouvoir souverain. Toutefois, si ce long séjour dans le barreau fut sans danger pour sa carrière politique, je ne crois pas qu’il ait été sans dommage pour son talent. Tous les reproches qu’on adresse, à tort sans doute, à l’avocat d’aujourd’hui étaient parfaitement mérités par l’avocat d’autrefois. C’est de