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de parfums[1]. » À ces plaisanteries se mêlent des accusations plus sérieuses. Le nom des proscriptions est quelquefois prononcé dans ce discours, le souvenir et l’impression qu’elles ont laissés se retrouvent partout. On sent que celui qui parle et qui les a vues en a l’âme encore tout occupée, et que l’horreur qu’il en a ressentie et dont il n’est pas le maître l’empêche de se taire, quelque péril qu’il y ait à parler. Cette émotion généreuse se fait jour à chaque moment, malgré la réserve qu’impose le voisinage des proscripteurs. Il ose dire, en parlant de leurs victimes, qu’elles ont été atrocement égorgées, quoiqu’il fût d’usage de leur trouver toute sorte de crimes. Il voue à la haine et au mépris public les misérables qui se sont enrichis dans ces massacres, et par un jeu de mots qui fit fortune il les appelle « des coupeurs de tête et de bourse[2]. » Il demande enfin formellement qu’on mette un terme à ce régime dont rougit l’humanité ; « sinon, ajoute-t-il, il vaudra mieux aller vivre parmi les bêtes féroces que de rester à Rome[3]. »

C’est à quelques pas de l’homme qui avait ordonné les proscriptions, en face de ceux qui les avaient faites et qui en profitaient, que Cicéron parlait ainsi. Qu’on juge de l’effet que devaient produire ses paroles ! Elles exprimaient les sentiments secrets de tout le monde, elles soulageaient la conscience publique, forcée de se taire et humiliée de son silence. Aussi le parti démocratique éprouva-t-il depuis ce jour la plus vive sympathie pour cet éloquent jeune homme qui protestait avec tant de courage contre un régime odieux. C’est ce souvenir qui jusqu’à son consulat lui conserva si fidèlement la faveur populaire. Toutes les fois qu’il souhaitait quelque magistrature, les citoyens accouraient en foule au champ de Mars

  1. Pro. Rosc. Amer., 46.
  2. Pro Rosc. Amer., 29.
  3. Pro Rosc. Amer., 52.