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à qui on avait enlevé d’abord toute sa fortune et qu’on accusait ensuite d’avoir assassiné son père, ne trouvait pas d’avocat. Cicéron se proposa pour le défendre. Il était jeune et inconnu, deux grands avantages quand on veut tenter de ces coups hardis, car l’obscurité diminue les périls qu’ils font courir, et la jeunesse empêche de les apercevoir. Il n’eut pas de peine à démontrer l’innocence de son client, qu’on accusait sans preuve ; mais ce succès ne lui suffit pas. On savait que derrière l’accusation se cachait l’un des affranchis les plus puissants de Sylla, le riche et voluptueux Chrysogonus. Il se croyait sans doute protégé contres les témérités de la défense par l’effroi qu’inspirait son nom. Cicéron le traîna dans le débat. On retrouve dans son discours la trace de l’épouvante qui saisit les auditeurs quand ils entendirent prononcer ce nom redouté. Les accusateurs étaient interdits, la foule restait muette. Seul, le jeune orateur semble tranquille et maître de lui. Il sourit, il plaisante, il ose railler ces terribles gens que personne ne regardait en face, parce qu’on songeait toujours en les voyant aux deux mille têtes de chevaliers et de sénateurs qu’ils avaient fait couper. Il ne respecte même pas tout à fait le maître lui-même. Ce surnom d’heureux, que ses flatteurs lui avaient donné, devient ici l’occasion d’un jeu de mots. « Quel est l’homme assez heureux, dit-il, pour n’avoir pas quelque coquin dans son entourage ?[1]  » Ce coquin n’est autre que le tout-puissant Chrysogonus. Cicéron ne le ménage pas. Il dépeint son luxe et son arrogance de parvenu. Il le montre entassant dans sa maison du Palatin tous les objets précieux qu’il a enlevés à ses victimes, fatiguant le voisinage du bruit de ses chanteurs et de ses musiciens, « ou voltigeant sur le forum, les cheveux bien peignés et luisants

  1. Pro Rosc. Amer., 8.