Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/46

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moins le meilleur peut-être de l’ancien monde. Il est bien entendu que ce n’était pas à la constitution romaine telle qu’elle était de son temps que Cicéron donnait tous ces éloges. Son admiration remontait plus haut. Il reconnaissait qu’elle avait été profondément modifiée depuis les Gracques, mais il croyait qu’avant d’avoir subi ces altérations elle était irréprochable. C’est ainsi que les études et les réflexions de son âge mûr le ramenaient à ces premières impressions qu’il avait gardées de son enfance, et qu’elles fortifiaient en lui l’amour des anciens temps et le respect des anciens usages. À mesure qu’il avança dans la vie, tous ses mécomptes et tous ses malheurs le rejetèrent encore de ce côté. Plus le présent était triste et l’avenir menaçant, plus il se retournait avec regret vers le passé. Si on lui avait demandé en quel temps il aurait voulu naître, je crois qu’il aurait choisi sans hésitation l’époque qui suivit les guerres puniques, c’est-à-dire le moment où Rome, fière de sa victoire, assurée de l’avenir, redoutée du monde, entrevoit pour la première fois les beautés de la Grèce et commence à se laisser toucher par le charme des lettres et des arts. C’est le plus beau temps de Rome pour Cicéron, celui où il place de préférence la scène de ses dialogues. Il aurait certainement aimé à vivre parmi ces grands hommes qu’il fait si bien parler, auprès de Scipion, de Fabius et du vieux Caton, à côté de Lucilius et de Térence ; et, dans ce groupe illustre le personnage dont la vie et le rôle devaient le plus le tenter, celui qu’il aurait voulu être, si l’on pouvait choisir son temps et se faire sa destinée, c’est le sage et savant Lælius[1]. Unir, comme lui, une grande situation

  1. Dans cette curieuse lettre qu’il écrivit à Pompée après son consulat (ad fam., V, 7), et où il semble lui proposer une sorte d’alliance, il lui attribue le rôle de Scipion et prend pour lui celui de Lælius.