Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/44

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tait pas le seul reproche, ni même le plus grand que les philosophes grecs et Cicéron avec eux faisaient à la démocratie. Ils trouvaient qu’elle est de sa nature agitée et tumultueuse, ennemie du recueillement, et qu’elle n’offre pas au savant et au sage ces beaux loisirs qui leur sont nécessaires pour les ouvrages qu’ils méditent. Quand Cicéron songeait au gouvernement populaire, il n’avait à l’esprit que luttes et combats. Il se rappelait les séditions plébéiennes et les scènes orageuses du forum. Il croyait entendre ces plaintes menaçantes des débiteurs et des dépossédés qui pendant trois siècles troublèrent le repos des riches. Quel moyen, parmi ces tempêtes, de se livrer à des travaux qui réclament le calme et la paix ? Les plaisirs de l’esprit sont à chaque instant interrompus dans ce régime de violence qui arrache sans cesse les honnêtes gens au silence de leur bibliothèque pour les jeter sur la voie publique. Cette vie tumultueuse et incertaine ne pouvait pas convenir à un ami aussi résolu de l’étude, et si la morgue des grands seigneurs le rejetait quelquefois vers le parti populaire, la haine de la violence et du bruit ne lui permettait pas d’y rester.

Quelle était donc la forme de gouvernement qui lui semblait la meilleure ? Il le dit très nettement dans sa République, celle qui les réunit toutes dans un juste équilibre. « Je veux, dit-il, qu’il y ait dans l’État un pouvoir suprême et royal, qu’une autre part soit réservée à l’autorité des premiers citoyens, et que certaines choses soient abandonnées au jugement et à la volonté du peuple[1]. » Or, ce gouvernement mixte et tempéré, qui contient les qualités des autres, n’est pas, selon lui, un système imaginaire, comme la république de Platon. Il existe et il fonctionne ; c’est celui de son pays. Cette

  1. De Rep., I, 45.