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blait prendre à tâche d’exagérer ses défauts et de décourager par ses dédains les honnêtes gens qui s’offraient à la défendre. Cicéron se sentait attiré vers elle par ce goût qu’il avait pour la distinction des manières et pour les plaisirs élégants ; mais il ne pouvait pas se faire à ses insolences. Aussi, même en la servant, a-t-il toujours conservé contre elle des rancunes de bourgeois mécontent. Il savait bien qu’elle ne lui pardonnait pas sa naissance et qu’on l’appelait un parvenu (homo novus), en revanche, il ne tarissait pas de railleries contre ces gens heureux qui sont dispensés d’avoir du mérite, qui n’ont pas besoin de prendre de la peine, et à qui les premières dignités de la république viennent en dormant (quibus omnia populi romani beneficia dormientibus de feruntur[1]).

Mais si l’aristocratie lui plaisait peu, il aimait encore moins le gouvernement populaire. C’est le pire de tous, disait-il avant Corneille[2], et en le disant il suivait l’opinion de la plupart des philosophes grecs, ses maîtres. Presque tous ont manifesté une grande aversion pour la démocratie. Non seulement la nature de leurs études poursuivies dans le silence et la solitude les éloignait de la foule, mais ils la fuyaient avec soin, de peur qu’elle ne leur communiquât ses erreurs et ses préjuges. Leur préoccupation constante était de se tenir en dehors et au-dessus d’elle. L’orgueil que cet isolement même nourrissait en eux les empêchait de voir un égal dans un homme du peuple, étranger à ces études dont ils étaient si fiers. Aussi répugnaient-ils à la souveraineté du nombre, qui donne la même importance à un ignorant et à un sage. Cicéron dit positivement que l’égalité entendue de cette façon est la plus grande de toutes les inégalités, ipsa æquitas iniquissima est[3]. Ce n’é-

  1. In Verrem, act. sec., V, 70.
  2. De Rep., I, 26.
  3. De Rep., I, 34.