Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/418

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peine d’être conservée et défendue. C’est à l’homme qui disait déjà, à l’époque du pro Marcello : « J’ai assez vécu pour la nature ou pour la gloire ; » qui plus tard, lorsqu’on le pressait de prendre des précautions contre ses assassins, répondait d’un ton découragé : « J’aime vieux mourir une fois que de trembler toujours ; » c’est bien à lui qu’il conviendrait de dire, avec Corneille :

J’ai souhaité l’empire, et j’y suis parvenu ;
Mais en le souhaitant je ne l’ai pas connu.
Dans sa possession j’ai trouvé pour tous charmes
D’effroyables soucis, d’éternelles alarmes.
Mille ennemis secrets, la mort à tout propos,
Point de plaisir sans peine, et jamais de repos.

Ces beaux vers me plaisent moins, je l’avoue, placés dans la bouche d’Auguste. Ce politique avisé, si froid, si maître de lui ne me semble pas avoir véritablement connu cette noble tristesse qui, dans le héros, nous révèle l’homme, ce découragement d’un cœur mécontent de lui, malgré ses succès, et dégoûté du pouvoir par le pouvoir même. Quelque admiration que j’éprouve pour cette belle scène où Auguste propose d’abdiquer l’empire, je ne puis m’empêcher d’en vouloir un peu à Corneille d’avoir pris au sérieux et de nous dépeindre gravement cette comédie solennelle dont personne à Rome n’était dupe, et, lorsqu’en lisant la tragédie de Cinna je veux rendre mon plaisir complet, je suis toujours tenté de remplacer le personnage d’Auguste par celui de César.

J’ajoute, en finissant, que tous ces ménagements hypocrites d’Auguste n’étaient pas seulement des défauts de caractère ; ce furent aussi des fautes politiques, et qui laissèrent les traces les plus fâcheuses dans le gouvernement qu’il avait créé. Ce qui rendit insupportable la tyrannie des premiers Césars, c’est précisément ce vague que les mensonges intéressés d’Auguste avaient répandu sur la nature et les limites véritables de leur