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leurs souvenirs, toutes les forces sociales, dont on n’a pas tenu compte, ne veulent pas se soumettre aux lois rigoureuses qu’on leur impose. On s’aperçoit alors qu’on ne les façonne pas comme on veut, et puisqu’elles refusent absolument de céder, il faut bien qu’on se résigne à modifier cette constitution qui semblait si belle quand on ne s’en servait pas. Mais ici encore l’embarras est grand. Il n’est pas facile de rien changer dans ces sortes de systèmes serrés et logiques où tout est si habilement lié que la moindre pièce qu’on dérange ébranle le reste. D’ailleurs les philosophes sont naturellement impérieux et absolus ; ils n’aiment pas qu’on les contrarie. Pour éviter ces oppositions qui les impatientent, pour échapper autant que possible aux exigences de la réalité, ils imitent cet Athénien dont parle Aristophane, qui, désespérant de trouver ici-bas une république qui lui convînt, allait en chercher une à sa fantaisie jusque dans les nuages. Eux aussi construisent des cités en l’air, c’est-à-dire des républiques idéales gouvernées par des lois imaginaires. Ils rédigent des constitutions admirables, mais qui ont le tort de ne s’appliquer à aucun pays en particulier, parce qu’elles sont faites pour le genre humain tout entier.

Ce n’est pas ainsi qu’agit Cicéron. Il connait le public auquel il s’adresse, il sait que cette race froide et sensée, la plus prompte à prendre les choses par leur côté pratique, serait peu satisfaite de toutes ces chimères. Aussi s’égare-t-il moins dans ces rêves de l’idéal et de l’absolu. Il n’a pas la prétention d’écrire des lois pour tout l’univers ; il songe surtout à son pays et à son temps, et, quoiqu’il ait l’air de tracer le plan d’une république parfaite, c’est-à-dire qui ne peut pas exister, on voit bien qu’il a les yeux sur une constitution qui existe réellement. Voici quelles sont à peu près ses théories politiques. Des trois formes de gouvernement qu’on