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d’en conclure que l’an 726 de Rome, par la générosité d’Auguste, la république a recommencé. Or, c’est précisément l’époque où l’autorité absolue des empereurs, délivrée des craintes du dehors, et acceptée paisiblement de tout le monde, achève de se constituer. Dion lui-même, l’officiel Dion, qui est si disposé à croire les empereurs sur parole, ne peut pas accepter ce mensonge d’Auguste ; il ose n’être pas dupe, et n’a pas de peine à montrer que ce gouvernement, sous quelque nom qu’il se déguise, était au fond une monarchie ; il aurait pu ajouter que jamais monarchie ne fut plus absolue. Un seul homme s’est fait l’héritier de tous les magistrats de la république, et il réunit en lui tous leurs pouvoirs. Il a supprimé le peuple qu’il ne consulte plus ; il est le maître du sénat qu’il choisit et forme à son gré ; à la fois consul et pontife, il règle les actions et les croyances ; revêtu de la puissance tribunitienne, il est inviolable et sacré, c’est-à-dire que le moindre mot qui échappe contre lui devient un sacrilège ; censeur, sous le titre de préfet des mœurs, il peut contrôler la conduite des particuliers et s’introduire, quand il veut, dans les affaires les plus intimes de la vie[1]. Tout lui est soumis, la vie privée aussi bien que la vie publique, et depuis le sénat jusqu’aux foyers les plus humbles et les plus cachés, son autorité a le droit de pénétrer partout. Ajoutez que les limites de son empire sont celles du monde civilisé ; la barbarie commence où finit la servitude, et il n’y a pas même contre ce despotisme la triste ressource de l’exil. C’est pourtant l’homme qui possède cette puissance effrayante, à qui rien n’échappe dans son immense em-

  1. Je ne fais ici que résumer un très curieux chapitre de Dion Cassius (Hist. rom., LIII, 17). On y voit très bien comment la constitution romaine, où la séparation des pouvoirs était une garantie de liberté, est devenue, par le seul fait de leur concentration, un formidable engin de despotisme.