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que nous connaissons mal. On lui a fait un crime des efforts qu’il fit alors pour fléchir son ancien ami, et je reconnais qu’à ne consulter que l’intérêt de sa dignité il aurait mieux valu qu’il n’eût rien demandé à celui qui l’avait si lâchement trahi. Mais il ne s’agissait pas de lui seul. Rome n’avait pas de soldats à opposer à ceux d’Octave. La seule ressource qui restât pour le désarmer, c’était de lui rappeler les promesses qu’il avait faites. Il n’y avait guère d’espoir qu’on réussit à réveiller dans cette âme égoïste quelques étincelles de patriotisme ; mais on devait au moins le tenter. La république était compromise en même temps que la vie de Cicéron, et ce qu’il ne lui convenait pas de faire pour prolonger sa vie, il fallait qu’il l’essayât pour sauver la république. Il n’y a rien de bas à supplier quand on défend la liberté de son pays et qu’il n’y a pas d’autre moyen de la défendre. C’est sans doute à ce terrible moment qu’il écrivait à Octave ces paroles si humble qu’on retrouve dans les fragments de ses lettres : « Faite-moi savoir désormais ce que vous voudrez que je fasse, je dépasserai votre attente[1]. » Loin de lui reprocher ses prières, j’avoue que je ne vois pas sans émotion ce glorieux vieillard s’humilier ainsi devant l’enfant qui a trahi sa confiance, qui s’est joué de sa crédulité, mais qui est le maître de sauver ou de perdre la république !

Malheureusement il ne reste de ces lettres que des débris informes qui ne peuvent rien nous apprendre. Si l’on souhaite connaître celui qui tient une si grande place dans les derniers événements de la vie de Cicéron, il faut s’adresser ailleurs. Il serait facile et instructif de reproduire ici l’opinion que nous donnent de lui les historiens de l’empire. Mais j’aime mieux rester fidèle jusqu’à la fin à la méthode que j’ai suivie dans tout cet

  1. Orelli, Fragm. Cicéron, p. 465.