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Plutarque. Je craindrais de le gâter en l’abrégeant. Nous y voyons qu’en apprenant que Cicéron venait de périr, Brutus ressentit une vive douleur. C’était plus qu’un ami qu’il regrettait : il avait perdu avec lui une espérance qui lui était chère et à laquelle il n’avait pas voulu renoncer. Cette fois pourtant il lui fallait bien reconnaître qu’il n’y avait plus de citoyens à Rome et désespérer tout à fait de ce lâche peuple qui laissait ainsi périr ses défenseurs. « S’ils sont esclaves, dit-il tristement, c’est leur faute plus que celle de leurs tyrans. » Aucun aveu n’a dû lui coûter davantage. Depuis qu’il avait tué César, sa vie n’était plus qu’une série de mécomptes, et les événements semblaient se jouer de tous les plans qu’il avait formés. Ses scrupules de légalité lui avaient fait perdre l’occasion de sauver la république ; son horreur pour la guerre civile n’avait servi qu’à la lui faire commencer trop tard. Ce n’était pas assez qu’il se fût trouvé forcé malgré lui de violer la loi et de combattre ses concitoyens, il se voyait encore contraint d’avouer, à son grand regret, qu’en espérant trop des hommes il s’était trompé. Il avait bonne opinion d’eux quand il les étudiait de loin, avec ses chers philosophes. Combien ses opinions changèrent quand il en vint à les manier et à s’en servir, quand il lui fallut être témoin de l’affaiblissement des caractères, surprendre les convoitises sécrétés, les haines insensées, les lâches frayeurs de ceux qu’il regardait comme les plus honnêtes et les plus braves ! Sa blessure fut si profonde, qu’en apprenant les dernières faiblesses de Cicéron, il en vint à douter même de la philosophie, sa science préférée, qui avait fait le charme de sa vie. « Que lui sers, disait-il, d’avoir écrit avec tant d’éloquence pour la liberté de sa patrie, sur l’honneur, sur la mort, sur l’exil, sur la pauvreté ? En vérité, je commence à n’avoir plus de confiance dans ces études dont