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Peu de mois après, Lépide, Antoine et Octave, triumvirs pour reconstituer la république, comme ils s’appelaient, se réunirent près de Bologne. Ils se connaissaient trop pour ne pas se savoir capables de tout : aussi avaient-ils pris les uns contre les autres de minutieuses précautions. L’entrevue eut lieu dans une île, et ils y arrivèrent avec un nombre égal de troupes qui ne devaient pas les perdre de vue. Pour plus de sûreté encore, et de peur qu’il n’y eût quelque poignard caché, ils en vinrent à se fouiller l’un l’autre. Après s’être ainsi rassurés, ils discutèrent longtemps. Il ne fut guère question des moyens de reconstituer la république : ce qui les occupa le plus avec le partage du pouvoir, ce fut la vengeance, et l’on dressa avec soin la liste de ceux qu’on allait tuer. Dion Cassius fait remarquer que, comme ils se détestaient profondément, l’on était sûr, si l’on était très lié avec l’un d’entre eux, d’être le mortel ennemi des deux autres, en sorte que chacun demandait précisément la tête des meilleurs amis de ses nouveaux alliés. Mais cette difficulté ne les arrêta pas : ils avaient la reconnaissance bien moins exigeante que la haine, et en payant de quelques amis, même de quelques parents, la mort d’un ennemi, ils trouvaient encore le marché bon. Grâce à ces complaisances mutuelles, on s’accorda vite, et la liste fut dressée. Cicéron n’y était pas oublié, comme on pense bien : Antoine l’avait réclamé avec passion, et il n’est pas probable, quoi que disent les écrivains de l’empire, qu’Octave l’ait beaucoup défendu ; il lui aurait rappelé une reconnaissance pénible et le souvenir d’un parjure trop éclatant.

Avec la mort de Cicéron nous sommes arrivés au terme de ce travail, puisque nous ne nous étions proposé que d’étudier les rapports de Cicéron et de Brutus. Si l’on voulait le pousser plus loin et connaître aussi la mort de Brutus, il suffirait de lire l’admirable récit de