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dites, écrivait-il à Atticus, que j’ai tort de croire que la république dépende entièrement de Brutus ; il n’est rien de plus vrai. Si elle peut être sauvée, elle ne le sera que par lui et les siens[1]. » C’est sans illusions, sans espérance que Cicéron avait tenté cette dernière entreprise, et uniquement pour obéir aux désirs de Brutus, toujours obstiné dans son amour des résistances légales et des luttes pacifiques. Il appartenait donc à Brutus moins qu’à personne de lui reprocher d’y avoir succombé. Cicéron avait raison de rappeler souvent cette entrevue de Vélie où son ami le décida malgré ses répugnances à retourner à Rome. Ce souvenir était sa défense ; il devait interdire à Brutus toute parole amère contre celui qu’il avait lui-même jeté dans une aventure sans issue.

Cicéron dut ressentir profondément ces reproches. Pourtant son amitié pour Brutus n’en fut pas altérée. C’est encore sur lui qu’il a les yeux, c’est lui qu’il appelle, quand tout fui semble perdu en Italie. Rien n’est plus touchant que ce dernier cri d’alarme. « Nous sommes les jouets, mon cher Brutus, de la licence des soldats et de l’insolence du chef. Chacun veut avoir dans la république autant de pouvoir qu’il a de forces. On ne connaît plus ni raison, ni mesure, ni loi, ni devoir ; on n’a plus souci de l’opinion publique ni du jugement de la postérité. Accourez donc et donnez enfin à la république cette liberté que vous lui avez conquise par votre courage, mais dont nous ne pouvons pas encore jouir. Tout le monde va se presser autour de vous ; la liberté n’a plus d’asile que sous vos tentes. Voilà notre situation en ce moment ; puisse-t-elle devenir meilleure ! S’il en arrive autrement, je ne pleurerai que la république ; elle devait être immortelle. Pour moi, il me reste si peu de temps à vivre ![2] »

  1. Ad Att., XIV, 20.
  2. Ad Brut., I, 10.