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Il essayait de rétablir la république avec le secours de gens qui l’avaient combattue et qui ne l’aimaient pas. Quel fonds pouvait-il faire sur un Hirtius, auteur d’une toi sévère contre les pompéiens, sur un Plancus et un Pollion, anciens lieutenants de César, sur un Lépide et un Octave, qui voulaient le remplacer ? Et pourtant il n’avait pas d’autre appui qu’eux. À ce grand ambitieux qui, le lendemain même des ides de mars, s’était voulu faire le maître, il ne pouvait opposer qu’une coalition d’ambitieux secondaires ou plus dissimulés. Au milieu de toutes ces convoitises ouvertes ou cachées, rien n’était plus difficile que de se diriger. Il fallait les brider les unes par les autres, les flatter pour les conduire, et les contenter à demi pour les contenir. De là ces honneurs prodigués ou promis, ce luxe d’éloges et de titres décernés, ces exagérations de reconnaissance officielle. C’était une nécessité imposée par les circonstances ; au lieu de faire un crime à Cicéron de l’avoir subie, il fallait en conclure qu’essayer une dernière lutte légale, revenir à Rome pour y réveiller l’ardeur populaire, se fier encore sur la force des souvenirs et la puissance souveraine de la parole, c’était s’exposer à des dangers inutiles et à des mécomptes certains. Cicéron le savait bien. Il a pu quelquefois sans doute, au milieu de l’ardeur du combat, se laisser enivrer par les triomphes de son éloquence, comme ce jour où il écrivait naïvement à Cassius : « Si l’on pouvait parler plus souvent, il ne serait pas trop difficile de rétablir la république et la liberté[1]. » Mais cette illusion ne durait guère. L’ivresse dissipée, il ne tardait pas à reconnaître l’impuissance de la parole, et disait le premier qu’il ne fallait mettre son espérance que dans l’armée républicaine. Il n’a jamais varié dans cette opinion. « Vous me

  1. Ad fam., XII, 2.