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tous les régimes, à ces ambitieux, à ces intrigants de toute sorte que Cicéron avait réunis avec tant de peine pour en former ce qu’il appelait le parti des honnêtes gens ; il souffrait surtout de le voir prodiguer des honneurs au jeune Octave, et mettre à ses pieds la république ; et quand il l’entendait appeler « un divin jeune homme envoyé par les dieux pour la défense de la patrie, » il avait peine à se contenir.

Lequel des deux avait raison ? Brutus assurément, si l’on songe au dénouement. Il est certain qu’Octave ne pouvait être qu’un ambitieux et qu’un traître. Le nom qu’il portait était pour lui une inévitable tentation ; lui livrer la république, c’était la perdre. Brutus avait raison de croire qu’Octave était plus à redouter qu’Antoine, et sa haine ne le trompait pas quand il prévoyait dans ce divin jeune homme tant vanté par Cicéron le maître futur de l’empire, l’héritier et le successeur de celui qu’il avait tué. Était-ce bien pourtant Cicéron qu’il fallait accuser, ou seulement les circonstances ? Lorsqu’il accepta les secours d’Octave, était-il libre de les refuser ? La république alors n’avait pas un seul soldat à opposer à ceux d’Antoine ; il fallait prendre ceux d’Octave ou périr. Après qu’il eut sauvé la république, on aurait eu mauvaise grâce à lui marchander les remercîments et les honneurs. D’ailleurs ses vétérans les demandaient pour lui d’une façon qui ne souffrait pas de refus, et souvent même les lui accordaient par avance. Le sénat sanctionnait tout au plus vite, de peur qu’on ne se passât de son aveu. « Les circonstances, dit quelque part Cicéron, lui ont donné le commandement ; nous n’avons ajouté que les faisceaux[1]. » Ainsi, avant de blâmer les complaisances de Cicéron ou d’accuser sa faiblesse, il fallait songer aux difficultés de sa position.

  1. Philipp., XI, 8.