Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/383

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est en question dans cette guerre, c’est notre vie ou notre mort. Qui épargnons-nous ? que faisons nous ? Est-il sage de ménager des hommes qui, s’ils sont vainqueurs, effaceront jusqu’à la trace de notre existence ?[1] »

Ces reproches émurent Brutus, et c’est en récriminant qu’il y répondit. Lui aussi était mécontent du sénat et de Cicéron. Quelque admiration qu’il éprouvât pour l’éloquence des Philippiques, bien des choses devaient le blesser en les lisant. Le ton général de ces discours, ces amères personnalités, ces invectives ardentes ne pouvaient plaire à celui qui, en frappant César, avait voulu paraître sans passion, et plutôt l’ennemi d’un principe que d’un homme. Or, s’il y a dans les Philippiques un grand amour de la liberté, il y a aussi une haine violente contre un homme. On sent bien que cet ennemi de la patrie est en même temps un adversaire intime et personnel. Il a tenté d’asservir Rome, mais il s’est aussi permis de railler dans un discours fort plaisant tous les ridicules du vieux consulaire. Le jour où Cicéron a lu cette invective, son irritable vanité s’est émue ; « il a pris le mors aux dents[2], » selon, l’expression d’un contemporain. La haine généreuse qu’il ressent contre un ennemi public s’est enflammée de rancunes particulières ; une lutte à outrance a commencé, poursuivie avec une ardeur toujours nouvelle à travers quatorze harangues. « Je veux, avait-il dit, l’accabler de mes invectives et le livrer flétri aux outrages éternels de la postérité[3] » ; et il a tenu parole. Cette persistance passionnée, ce ton d’emportement et de violence devait blesser Brutus. Ce qui ne lui déplaisait pas moins que les colères de Cicéron, c’étaient ses complaisances. Il lui en voulait des éloges hyperboliques qu’il accordait à des gens qui ne les méritaient guère, à ces généraux qui avaient servi toutes les causes, à ces hommes d’État compromis sous

  1. Ad Brut., II, 7.
  2. Ad fam., XI, 23.
  3. Philipp., XIII, 19.