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tant d’Italie que le consul Pansa finit par se plaindre et menaça d’arrêter au passage les recrues de Brutus. Les étudiants d’Athènes, et parmi eux le fils de Cicéron et le jeune Horace, quittèrent leurs études et s’enrôlèrent sous lui. En quelques mois, Brutus était maître de toute la Grèce, et il avait huit légions.

En ce moment le parti républicain semblait se réveiller partout à la fois. Cicéron avait réussi à Rome plus qu’il ne l’espérait, et trouvé à Antoine des ennemis qui l’avaient battu devant Modène. Brutus venait de former une armée importante en Grèce. Cassius parcourait l’Asie recrutant des légions sur son passage, et tout l’Orient se déclarait pour lui. L’espérance revenait aux plus timides et il semblait qu’on pouvait tout attendre pour la république du concours dotant de généreux défenseurs. C’est pourtant à ce moment même, où il importait tant d’être uni, qu’éclata entre Cicéron et Brutus le dissentiment le plus grave qui les ait jamais divisés. Quelque déplaisir qu’il nous cause, il faut le raconter, car il achève de les bien faire connaître tous les deux.

Cicéron se plaignit le premier. Cet homme d’ordinaire si faible, si hésitant, était devenu singulièrement énergique depuis la mort de César. La sagesse, la clémence, la modération, belles qualités qu’il aimait beaucoup et pratiquait volontiers, ne lui semblaient plus convenir aux circonstances où l’on se trouvait. Ce grand prôneur des victoires pacifiques prêchait la guerre à tout le monde ; cet ami rigoureux de la légalité demandait à tout ce monde d’en sortir. « N’attendez pas les décrets du sénat[1], » disait-il à l’un. — « Soyez votre sénat à vous-même[2], » écrivait-il à l’autre. Pour arriver à ses fins, tous les moyens lui semblaient bons, même les plus violents ; toutes les alliances lui plaisaient, même celle des gens qu’il n’es-

  1. Ad fam., XI, 7.
  2. Ad fam., X,16.