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noms qui s’étaient illustrés à défendre les intérêts du peuple, et le démagogue le plus audacieux de cette époque s’appelait Clodius. En aucun temps, du reste, Cicéron n’aurait pu trouver une direction politique dans sa naissance. Il n’appartenait pas à une famille connue. Il était le premier de tous les siens qui s’occupât des affaires publiques, et le nom qu’il portait ne l’engageait d’avance dans aucun parti. Enfin il n’était pas né à Rome. Son père habitait un de ces petits municipes de la campagne dont les beaux esprits se moquaient volontiers, parce qu’on y parlait un latin douteux et qu’on y connaissait mal les belles manières, mais qui n’en faisaient pas moins la force et l’honneur de la république. Ce peuple grossier, mais vaillant et sobre, qui occupait les pauvres villes délaissées de la Campanie, du Latium, de la Sabine, et chez qui les habitudes de la vie rustique avaient conservé quelque reste des anciennes vertus[1], était bien véritablement le peuple romain. Celui qui remplissait les rues et les places de la grande ville, qui perdait son temps au théâtre, qui figurait dans les émeutes du forum et vendait sa voix au champ de Mars, n’était qu’un ramassis d’affranchis et d’étrangers, et l’on ne pouvait apprendre avec lui que le désordre, l’intrigue et la corruption. La vie était plus honnête et plus saine dans les municipes. Les citoyens qui les habitaient restaient étrangers à la plupart des questions qui s’agitaient à Rome, et le bruit des affaires publiques ne parvenait guère jusqu’à eux. On les voyait quelquefois arriver au champ de Mars ou sur le forum, quand il s’agissait de voter pour quelqu’un de leurs compatriotes ou de le défendre par leur présence devant les tribunaux ; mais d’ordinaire ils ne se souciaient pas d’exercer leurs droits et restaient chez eux. Ils n’en étaient pas moins

  1. Pro Rosc. Amer., 16.