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par la violence et l’illégalité, en ne reculant pas même devant la proscription, d’opposer à cette tyrannie populaire qu’on venait de détruire une dictature aristocratique, en un mot de recommencer Sylla. C’est peut-être ce qu’aurait fait Cassius ; mais Brutus avait horreur de la violence. La tyrannie, de quelque côté qu’elle vint, lui semblait un crime ; il eût mieux aimé périr avec la république que de la sauver par ces moyens.

Les quelques jours qui suivirent se passèrent dans d’étranges alternatives. Il y eut comme une sorte d’interrègne où les partis se mesurèrent avec des chances diverses. Le peuple, qui n’avait pas suivi les conjurés ; ne soutenait guère plus leurs ennemis. Comme on ne savait sur quoi s’appuyer, des deux côtés on escarmouchait au hasard. De là des contradictions et des surprises. Un jour on proclamait l’amnistie, et Brutus allait dîner chez Lépide ; le lendemain on mettait le feu aux maisons des conjurés. Après avoir abolis la dictature, on ratifiait les actes du dictateur. Les amis de César lui élevaient une colonne et un autel sur le forum ; un ami de César les faisait abattre. C’est au milieu de cette situation embarrassée, quand les deux partis flottaient indécis et tâtonnants, sans rien oser de hardi, quand chacun cherchait autour de soi où était l’a force, que parurent ceux qui désormais allaient être les maîtres.

Depuis longtemps, il s’opérait à Rome une révolution secrète qu’on n’apercevait guère parce que les progrès en étaient lents et continus, mais qui, lorsqu’elle fut complète, changea la forme de l’État. Tant qu’on n’avait combattu qu’aux portes de la ville et en Italie, les campagnes étaient courtes. Les citoyens n’avaient pas le temps de perdre dans les camps les traditions de la vie civile ; il n’y avait encore ni soldats de métier, ni généraux de profession. Mais à mesure que les guerres