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surtout quand il voit avec quelle facilité on trafique des votes dans les élections. Néanmoins, tout marchait encore avec une apparente régularité, et les choses allaient du branle qu’elles avaient reçu. Dans une situation pareille, et quand un État ne va plus que par l’habitude d’aller, tout est perdu, si ce mouvement s’arrête un seul jour. Or, avec César les vieux rouages cessèrent de jouer. L’interruption ne fut pas longue, mais la machine était si délabrée qu’en s’arrêtant elle croula de toutes parts. Ainsi les conjurés ne pouvaient pas même refaire ce qui existait avant la guerre civile, et cette dernière ombre de république, si imparfaite qu’elle fût, était perdue pour toujours.

Voilà pourquoi ils ne furent entendus ni suivis par personne. À la vue de cette populace indifférente, dans ce Capitole où on les laissait seuls, le cœur dut manquer à plus d’un. Cicéron surtout était désolé de voir qu’on ne faisait rien que de beaux discours. Il voulait qu’on agit, qu’on profitât du moment, qu’on mourût s’il le fallait : La mort ne serait-elle pas belle dans un si grand jour ? Ce vieillard, ordinairement indécis, avait alors plus de résolution que tous ces jeunes gens qui venaient de faire un coup si hardi. Et pourtant que proposait-il après tout ? « Il fallait, disait-il, exciter encore le peuple. » On vient de voir si le peuple pouvait répondre. « On devait convoquer le sénat, profiter de ses frayeurs pour lui arracher des décrets favorables[1]. » Assurément le sénat aurait voté ce qu’on aurait voulu ; mais les décrets rendus, comment les faire exécuter ? Tous ces projets étaient insuffisants, et il n’était guère possible d’en proposer d’utiles à des gens décidés à ne pas sortir de la loi. La seule chance qui pouvait rester, c’était de s’emparer hardiment du pouvoir, de le garder

  1. Ad Att., XIV, 10, et XV, 11.