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vie politique. Quand on a vécu dans la pratique des affaires, au milieu des manœuvres des partis, on est plus disposé à comprendre les sacrifices que peuvent exiger d’un homme d’État les nécessités du moment, l’intérêt de ses amis, le salut de sa cause. Au contraire on devient trop dur pour lui quand on ne juge sa conduite qu’avec ces théories inflexibles qu’on imagine dans la solitude, et qui n’ont pas subi l’épreuve de la vie. Voilà sans doute pourquoi les savants de l’Allemagne lui font une si rude guerre. À l’exception de M. Abeken[1], qui le traite humainement, les autres sont sans pitié. Drumann[2] surtout ne lui passe rien. Il a fouillé ses œuvres et sa vie avec la minutie et la sagacité d’un homme d’affaires qui cherche les éléments d’un procès. C’est dans cet esprit de malveillance consciencieuse qu’il a dépouillé toute sa correspondance. Il a courageusement résisté au charme de ces confidences intimes qui nous font admirer l’écrivain et aimer l’homme malgré ses faiblesses, et, en opposant l’un à l’autre des fragments détachés de ses lettres et de ses discours, il est parvenu à dresser un acte d’accusation en règle où rien n’est omis, et qui tient presque un volume. M. Mommsen[3] n’est guère plus doux, seulement il est moins long. Comme il voit les choses de haut, il ne se perd pas dans le détail. En deux de ces pages serrées et pleines de, faits, comme il sait les écrire, il a trouvé moyen d’accumuler plus d’outrages pour Cicéron que n’en contient tout le volume de Drumann. On y voit notamment que ce prétendu homme d’État n’était qu’un égoïste et un myope, et que ce grand écrivain ne se compose que d’un feuilletoniste et d’un avocat. Voilà bien la même plume qui vient d’appeler Caton un don Quichotte

  1. Abeken, Cicero in seinen Briefen, Hannover, 1835.
  2. Drumann, Geschichte Roms, etc., t. V et VI.
  3. Mommsen, Römische Geschichte, t. III.