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plaire ; on dirait qu’il ne se soucie plus que des éloges et de l’amitié de Brutus.

C’est surtout l’étude de la philosophie qui les réunit. Tous deux l’aimaient et la cultivaient depuis leur jeunesse, tous deux semblèrent l’aimer davantage et la cultiver avec plus d’ardeur quand le gouvernement d’un seul les eut éloignés des affaires publiques. Cicéron, qui ne pouvait se faire au repos, tourna toute son activité vers elle. « La Grèce vieillit, disait-il à ses amis et à ses élèves, allons lui arracher sa gloire philosophique[1] ; » et il se mit le premier à l’œuvre. Il tâtonna d’abord quelque temps et ne trouva pas du premier coup la philosophie qui convenait à ses compatriotes. Un moment il avait été tenté de les diriger vers ces questions de métaphysique subtile qui répugnaient au bon sens pratique des Romains. Il avait traduit le Timée, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus obscur dans la philosophie de Platon ; mais il s’aperçut vite qu’il se trompait, et il s’empressa de quitter cette route où il aurait marché tout seul. Dans les Tusculanes, il revint aux questions de morale appliquée et n’en sortit plus. Les caractères divers des passions, la nature propre de la vertu, la hiérarchie des devoirs, tous ces problèmes qu’un honnête homme se pose pendant sa vie, surtout celui devant lequel il recule souvent, mais qui revient toujours avec une obstination terrible, et trouble à certains moments les âmes les plus matérielles et les plus terrestres, l’avenir après la mort, voilà ce qu’il étudie sans tour de force dialectique, sans préjugé d’école, sans parti pris de système, et avec moins de souci d’inventer des idées nouvelles que de prendre un peu partout des principes pratiques et sensés. Tel est le caractère de la philosophie romaine, dont il faut bien se garder de médire, car son rôle a été grand dans

  1. Tusculanes, II, 2.