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même à ceux qu’occupait le gouvernement nouveau de se sentir désœuvrés, surtout après les violentes agitations des années précédentes. Le dieu, suivant l’expression de Virgile, faisait des loisirs à tout le monde. Brutus employa ces loisirs à revenir aux études de sa jeunesse qu’il avait plutôt interrompues que délaissées. Y revenir, c’était se rapprocher plus étroitement encore de Cicéron.

Ce n’est pas qu’il l’eut oublié ; pendant qu’il suivait César en Asie, il avait appris que son ami, retiré à Brindes, y souffrait à la fois des menaces des césariens, qui ne lui pardonnaient pas d’être parti pour Pharsale, et des rancunes des pompéiens, qui lui reprochaient d’en être trop vite revenu. Entre toutes ces colères, Cicéron, qui, comme on sait, n’avait pas beaucoup d’énergie était fort abattu. Brutus lui écrivit pour le raffermir. « Vous avez fait des actions, lui disait-il, qui parleront de vous malgré votre silence, qui vivront après votre mort, et qui, par le salut de l’État, si l’État est sauvé, par sa perte, s’il ne l’est pas, déposeront à jamais en faveur de votre conduite politique[1]. » Cicéron dit qu’en lisant cette lettre il lui sembla sortir d’une longue maladie et rouvrir les yeux à la lumière. Quand Brutus fut de retour à Rome, leurs relations se multiplièrent. En se connaissant mieux, ils s’apprécièrent davantage. Cicéron, dont l’imagination était si vive, le cœur si jeune malgré ses soixante ans, s’éprit tout à fait de Brutus. Ce commerce assidu avec un esprit si curieux, une âme si droite, ranima et rajeunit son talent. Dans les beaux ouvrages qu’il publie alors et qui se succèdent coup sur coup, son ami tient toujours une grande place. On voit que son cœur est plein de lui, il en parle le plus qu’il peut, il ne se lasse pas de le louer, il veut avant tout lui

  1. Cicéron, Brut., 96.