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II

Brutus avait trente-sept ans à la bataille de Pharsale. C’était, pour les Romains, l’âge de l’activité politique. D’ordinaire on venait alors d’être questeur ou édile ; on entrevoyait devant soi la préture et le consulat, et l’on se faisait, en luttant vaillamment sur le forum ou dans la curie, des titres pour y arriver. Ce qu’imaginait de plus beau tout jeune homme à son entrée dans les affaires, c’était d’obtenir ces grands honneurs à l’âge où le permettaient les lois, la préture à quarante ans, le consulat à quarante-trois, et il n’y avait rien de plus honorable que de pouvoir dire : « J’ai été préteur ou consul dès que j’ai eu le droit de l’être (meo anno). » Si par bonheur, pendant qu’on l’était, le sort favorisait de quelque guerre importante qui donnât l’occasion de tuer cinq mille ennemis, on obtenait le triomphe, et il ne restait plus rien à souhaiter.

Il n’est pas douteux que Brutus n’eût conçu cette espérance comme les autres, et il est certain que sa naissance et ses talents lui auraient permis de la réaliser ; Pharsale renversa tous ces projets. Les honneurs ne lui étaient pas interdits, car il était l’ami de celui qui les distribuait ; mais ces honneurs n’étaient plus que de vains titres depuis qu’un homme avait pris pour lui tout le réel du pouvoir. Cet homme prétendait bien être le seul maître et il n’admettait personne à partager avec lui l’autorité. « Il n’écoute pas même les siens, disait Cicéron, et ne prend conseil que de lui[1]. » Pour les autres, la vie politique n’existait plus. Il arriva donc

  1. Ad fam., IV, 9.