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ment ce principe[1], tout à fait nouveau, qu’il ne fallait pas les gouverner dans l’intérêt exclusif du peuple romain, mais aussi dans leur intérêt à elles, et de façon à leur donner le plus de bonheur et de bien-être qu’on pouvait. C’est ce qu’il essayait de faire en Cilicie : aussi fut-il très blessé de la conduite de Brutus. Il refusa nettement de s’y associer, quoique Atticus, dont la conscience était plus commode, l’en priât avec chaleur. « Je suis fâché, lui répondit-il, de ne pouvoir plaire à Brutus, et plus encore de le trouver si différent de l’idée que je me faisais de lui[2]. » — « S’il me condamne, disait-il ailleurs, je ne veux pas avoir de pareils amis. Au moins suis-je assuré que son oncle Caton ne me condamnera pas[3]. »

Ces paroles étaient amères, et leur amitié aurait sans doute beaucoup souffert de ces discussions, si les graves événements qui survinrent alors ne les avaient de nouveau rapprochés. Cicéron était à peine de retour en Italie que la guerre civile, prévue depuis longtemps, éclata. Les dissentiments particuliers devaient s’effacer devant ce grand conflit. D’ailleurs Cicéron et Brutus se trouvaient réunis alors par une communauté de sentiments singulière. Tous deux s’étaient rendus au camp de Pompée, mais tous deux l’avaient fait sans entraînement ni passion, comme un sacrifice qu’exigeait le devoir. Brutus aimait César, qui lui témoignait dans toutes les occasions une affection paternelle, et de plus il détestait Pompée. Outre que cette vanité solennelle n’était pas faite pour lui plaire, il ne lui pardonnait pas la mort de son père, tué pendant les guerres civiles de Sylla. Cependant il oublia, dans ce danger public, ses préférences et ses haines, et se rendit en Thessalie, où se trouvaient déjà les consuls et le sénat. Dans le camp de

  1. Ad Quint., X, 1.
  2. Ad Att., VI, 1.
  3. Ad Att., V, 21.