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Brutus, qui le croirait ? avait la main dans ces trafics. Il avait prêté de l’argent à Ariobarzane, roi d’Arménie, un de ces petits princes que Rome laissait vivre par charité, et à la ville de Salamine, dans l’île de Chypre. Au moment du départ de Cicéron, Atticus, qui lui-même, comme on sait, ne dédaignait pas ces sortes de profits, lui recommanda très vivement ces deus affaires ; mais Brutus avait mal placé ses fonds, et il ne fut pas possible à Cicéron de le faire rembourser. Ariobarzane avait beaucoup de créanciers et n’en payait aucun. « Je ne connais rien, disait Cicéron, de plus pauvre que ce roi, de plus misérable que ce royaume[1]. » On n’en put rien tirer. Quant à l’affaire de Salamine, elle fut tout d’abord plus grave. Brutus n’avait pas osé avouer dans le principe qu’il y fût directement intéressé, tant l’usure était énorme et les précédents scandaleux. Un certain Scaptius, ami de Brutus, avait prêté aux habitants de Salamine une forte somme à 4 pour 100 par mois. Comme ils ne pouvaient pas la rendre, il avait, selon l’usage, obtenu d’Appius, le prédécesseur de Cicéron, une compagnie de cavalerie, avec laquelle il avait tenu le sénat de Salamine si étroitement assiégé que cinq sénateurs étaient morts de faim. En apprenant cette conduite, Cicéron fut révolté et se hâta de rappeler ces soldats dont on avait fait un si mauvais usage. Il ne croyait encore nuire qu’à un protégé de Brutus ; mais à mesure que l’affaire prenait une plus mauvaise tournure, Brutus se découvrait davantage, afin que Cicéron mit plus de complaisance à l’arranger. Quand il vit qu’il n’y avait plus d’espoir d’être payé qu’avec de grandes réductions, il se lâcha tout à fait et se décida à faire connaître que Scaptius n’était qu’un prête-nom et qu’il était lui-même le véritable créancier des Salaminiens.

  1. Ad Att., VI, 1.