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Malheureusement pour elle, le proconsul était le plus souvent un complice de ses ennemis qui prenait sa part dans leurs bénéfices. Les créanciers, qui s’étaient assuré son concours en le payant bien, n’avaient alors qu’à envoyer dans la province quelque affranchi ou quelque homme d’affaires qui les représentait ; le proconsul mettant la puissance publique au service des intérêts particuliers, donnait à ce mandataire un titre de lieutenant, quelques soldats, des pleins pouvoirs, et si l’on n’arrivait pas vite à quelque arrangement satisfaisant, la ville insolvable subissait les horreurs d’un siége en pleine paix et d’un pillage officiel. Le proconsul qui refusait de se prêter à ces abus et qui prétendait, suivant l’expression de Cicéron, empêcher les provinces de mourir, soulevait naturellement les colères de tous ceux qui vivaient de la mort des provinces. Les chevaliers, les grands seigneurs, qui n’étaient plus remboursés, devenaient ses ennemis mortels. Il lui restait, à la vérité, la reconnaissance des provinces, mais c’était bien peu de chose. On avait remarqué que, dans ces pays de l’Orient, « façonnés par une longue servitude à une dégoûtante flatterie[1], » les gouverneurs qui recevaient le plus d’hommages et auxquels on élevait le plus de statues étaient précisément ceux qui avaient le plus volé, parce qu’on les redoutait davantage. Le prédécesseur de Cicéron avait tout à fait ruiné la Cilicie : aussi songeait-on à lui bâtir un temple. Voilà quelques-unes des difficultés auxquelles s’exposait un gouverneur honnête, quand il s’en rencontrait. Cicéron s’en tira avec honneur : il y a eu rarement dans la république romaine de province aussi bien administrée que la sienne ; mais il n’en rapporta que quelque reconnaissance, peu d’argent, beaucoup d’ennemis, et il faillit s’y brouiller avec Brutus.

  1. Cicéron, ad Quint., I, 1.