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plaint souvent qu’il lui marchandât les éloges ; un jour même il se fâcha sérieusement contre lui. Il s’agissait du grand consulat et de la délibération à la suite de laquelle Lentulus et les complices de Catilina furent exécutés. C’était l’action la plus ferme de la vie de Cicéron, et il avait le droit d’en être fier, puisqu’il l’avait payée de l’exil. Brutus, dans le récit qu’il faisait de cette journée, diminuait au profit de Caton, son oncle, la part que Cicéron y avait prie. Il le louait seulement d’avoir puni la conjuration sans dire qu’il l’avait découverte, et se contentait de l’appeler un excellent consul. « Le maigre éloge ! disait Cicéron en colère ; on le croirait d’un ennemi[1]. » Mais ce n’étaient là que de petits différends d’amour-propre qui pouvaient facilement se guérir ; voici un dissentiment plus grave et qui mérite qu’on s’y arrête, car il donne fort à penser sur la société romaine de cette époque.

En 702, c’est-à-dire peu de temps après qu’eut commencé sa liaison avec Brutus, Cicéron partit comme proconsul pour la Cilicie. Il n’avait pas recherché cette fonction, car il savait quelles difficultés il allait y trouver. Il partait décidé à accomplir son devoir, et il ne pouvait l’accomplir sans se mettre à la fois sur les bras les patriciens, ses protecteurs, et les chevaliers, ses protégés et ses clients. En effet, patriciens et chevaliers, d’ordinaire ennemis s’entendaient avec une rare concorde pour piller les provinces. Les chevaliers, fermiers de l’impôt public, n’avaient qu’une pensée : ils voulaient faire fortune en cinq ans, durée ordinaire de leur bail. Aussi réclamaient-ils sans pitié l’impôt du dixième sur les productions du sol, l’impôt du vingtième sur les marchandises, dans les ports le droit d’entrée, le droit de pâturage dans l’intérieur des terres, enfin tous les

  1. Ad Att., XII. 21.