jamais à s’entendre. Après la mort de César, et quand il s’agissait de bien autre chose que de débats littéraires, Brutus envoya à son ami le discours qu’il venait de prononcer au Capitole, et le pria de le corriger. Cicéron se garda bien d’en rien faire : il connaissait trop par expérience l’amour-propre des écrivains pour courir le risque de blesser Brutus en essayant de mieux faire que lui. Le discours du reste lui semblait fort beau, et il écrivait à Atticus qu’on ne pouvait rien voir de plus élégant ni de mieux écrit. « Pourtant, ajoutait-il, si j’avais eu à le faire, j’y aurais mis plus de passion[1]. » Assurément Brutus ne manquait pas de passion, mais c’était comme un feu secret et contenu qui ne se communiquait qu’aux plus proches, et il répugnait à employer ces grands mouvements et ce pathétique enflammé sans lesquels on n’entraîne pas la foule.
Il n’était donc pas pour Cicéron un disciple fidèle, on peut ajouter qu’il n’était pas non plus un ami commode. Il manquait de souplesse dans ses rapports, et son ton était toujours rude et brusque. Au commencement de leurs relations, Cicéron, accoutumé à être ménagé des plus grands personnages, trouvait les lettres de ce jeune homme aigres et hautaines, et il en était blessé. Ce n’était pas le seul reproche qu’il eût à lui faire. On connaît la vanité irritable, soupçonneuse, exigeante du grand consulaire ; on sait à quel point il aimait la louange : il se l’accordait libéralement à lui-même, il l’attendait des autres, et s’ils tardaient à la lui donner, il n’avait pas honte de la réclamer. Ses amis étaient généralement complaisants pour cette naïve faiblesse, et n’attendaient pas pour le louer d’y être invités par lui. Brutus seul résistait ; il se piquait de franchise et disait sans ménagement ce qu’il avait sur le cœur. Aussi Cicéron s’est-il
- ↑ Ad Att., XV, 1, B.