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naux par lesquels la volonté d’un seul homme circulait jusqu’aux extrémités du monde. Assurément la sécurité publique gagna beaucoup à voir disparaître ces conflits de pouvoir qui la troublaient sans cesse, et ce fut un grand bienfait pour les provinces qu’on enlevât la toute-puissance à leurs avides gouverneurs. Néanmoins, si les administrés profitaient de ces réformes, il était naturel que les administrateurs en fussent très mécontents. Du moment qu’ils n’étaient plus chargés que d’appliquer les ordres d’un autre, l’importance de leurs fonctions diminuait, et cette autorité souveraine, absolue, qu’ils sentaient toujours sur leur tête, finissait par peser aux plus résignés. Si les ambitieux se plaignaient de l’amoindrissement de leurs pouvoirs, les honnêtes gens ne s’accoutumaient pas aussi facilement qu’ils le croyaient à la perte de la liberté. À mesure qu’on s’éloignait davantage de Pharsale, leurs regrets devenaient plus vifs. Ils commençaient à revenir de la surprise de la défaite, ils se remettaient peu à peu de l’épouvante qu’elle leur avait causée. Dans les premiers moments qui suivent ces grandes catastrophes où l’on a pensé périr, on se livre tout entier au plaisir de vivre, mais ce plaisir est un de ceux auxquels on s’habitue le plus vite, et il est si naturel de l’éprouver qu’on finit bientôt par ne plus le ressentir. Tous ces gens effrayés qui le lendemain de Pharsale ne souhaitaient que le repos, quand on le leur eut donné, souhaitèrent autre chose. Tant qu’on n’était pas certain de vivre, on ne s’inquiétait pas de savoir si on vivrait libre ; une fois la vie assurée, le désir de la liberté revint dans tous les cœurs, et ceux qui servaient César l’éprouvèrent comme les autres. César, on le sait, avait donné à ce désir quelques satisfactions, mais elles ne suffirent pas longtemps. Il est aussi difficile de s’arrêter sur la pente de la liberté que sur celle de l’arbitraire. Une faveur qu’on accorde en fait souhaiter une autre, et l’on songe moins à jouir de ce