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son temps. Cicéron lui donne ce grand éloge qu’il fit entrer le premier la philosophie dans le droit, c’est-à-dire qu’il relia entre elles toutes ces règles minutieuses et toutes ces formules précises dont se composait cette science par des vues d’ensemble et des principes généraux[1]. Aussi n’hésite-t-il pas à le mettre bien au-dessus de ses devanciers, et surtout de cette grande famille des Scævola dans laquelle il semble que la jurisprudence romaine se fût jusque-là incarnée. Il y avait cependant entre eux et Sulpicius une différence qu’il importe de remarquer : les Scævola ont donné à Rome des jurisconsultes, des augures, des pontifes, c’est-à-dire qu’ils ont excellé dans les arts qui sont amis du calme et de la paix ; mais c’étaient aussi des citoyens très actifs, des politiques résolus, de vaillants soldats qui défendaient courageusement leur pays contre les factieux et contre l’étranger. Ils se montrèrent, dans leur vie occupée, capables de toutes les affaires et à la hauteur de toutes les situations. Scævola l’augure, quand Cicéron l’a connu, était encore, malgré son âge, un vieillard vigoureux, qui se levait au petit jour pour répondre à ses clients de la campagne. Il arrivait le premier à la curie, et il avait toujours sur lui quelque livre qu’il lisait pour ne pas rester désoeuvré en attendant ses collègues ; mais le jour où Saturninus menaça le repos public, ce savant qui aimait tant l’étude, ce vieillard infirme qui se soutetenait à peine et ne pouvait se servir que d’un bras, arma ce bras d’un javelot et marcha en tête du peuple à l’assaut du Capitole[2]. Scævola le pontife n’était pas seulement un habile jurisconsulte, c’était aussi un administrateur intègre dont l’Asie n’oublia jamais le souvenir. Quand les publicains attaquèrent son questeur Rutilius Rufus, coupable d’avoir voulu les empêcher de ruiner la

  1. Brut., 51.
  2. Pro Rabir., 7.