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tance. Aussi ne chercha-t-il pas à la détruire entièrement. Il ne fit pas taire, comme il le pouvait, les voix éloquentes qui regrettaient le passé ; il n’imposa même pas silence à cette opposition taquine qui essayait de répondre par des railleries à ses victoires. Il laissa critiquer quelques actes de son administration et souffrit qu’on lui donna des conseils. Ce grand esprit savait bien qu’on énerve un pays quand on rend les citoyens indifférents à leurs affaires et qu’on leur fait perdre le goût de s’en occuper. Il ne croyait pas que sur l’obéissance inerte et silencieuse on pût rien établir de solide, et dans le gouvernement qu’il fondait il tenait à conserver quelque vie publique. C’est Cicéron qui nous l’apprend dans un passage curieux de sa correspondance. « Nous jouissons ici d’un calme profond, écrit-il à l’un de ses amis ; j’aimerais mieux pourtant un peu d’agitation honnête et salutaire ; » et il ajoute : « Je vois que César est de mon avis[1]. »

Toutes ces raisons le déterminèrent à faire un pas de plus dans cette voie de générosité et de clémence où il était entré depuis Pharsale. Il avait pardonné à la plupart de ceux qui avaient porté les armes contre lui ; il en appela plusieurs à partager son pouvoir. Au moment même où il rappelait la plupart des exilés, il nomma Cassius son lieutenant ; il donna à Brutus le gouvernement de la Gaule cisalpine et à Sulpicius celui de la Grèce. Nous parlerons plus loin des deux premiers ; il importe, pour mieux apprécier la politique de César, de faire rapidement connaître le troisième, et de chercher comment il s’était rendu digne des bienfaits du vainqueur et de quelle façon il en profita.

Servius Sulpicius appartenait à une famille importante de Rome, et c’était le jurisconsulte le plus célèbre de

  1. Ad fam., XII, 17.