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lui demandait, pour la reprendre ensuite sans scrupule après la mort d’Hortensius. Que la conduite de César avec la sienne fut différente, quoiqu’il eût à se plaindre d’elle ! Un homme avait été surpris la nuit dans sa maison, les tribunaux instruisaient l’affaire, il pouvait venger son outrage, il aima mieux l’oublier. Appelé comme témoin devant les juges, il déclara qu’il ne savait rien, sauvant ainsi son rival pour conserver la réputation de sa femme. Il ne la répudia que plus tard, quand le bruit de l’aventure se fut dissipé. C’était agir-en homme du monde et qui sait vivre. Ici encore, entre Caton et lui, c’est le moins scrupuleux et au fond le moins honorable des deux, c’est le mari volage et libertin qui, par une certaine délicatesse naturelle, met l’avantage de son côté.

Ces contrastes de conduite, ces oppositions de caractère, me semblent expliquer mieux encore que tous les différends politiques la façon dont César traitait Caton dans son ouvrage. Les fragments qui en restent et le témoignage de Plutarque prouvent qu’il l’attaquait avec une extrême violence, et qu’il essayait de le rendre à la fois ridicule et odieux. Il eut beau faire, sa peine fut perdue. On continua, malgré lui, de lire et d’admirer le livre de Cicéron. Non seulement la réputation de Caton survécut aux outrages de César, mais elle grandit encore sous l’empire. À l’époque de Néron, quand le despotisme était le plus lourd, Thrasea écrivit de nouveau son histoire, Sénèque le cite à chaque page de ses livres, et jusqu’à la fin il fut l’orgueil et le modèle des honnêtes gens qui, dans l’abaissement général des caractères, conservaient quelque sentiment d’honneur et de dignité. Ils étudiaient encore plus sa mort que sa vie, car on avait surtout besoin alors d’apprendre à mourir, et quand cette triste nécessité se présentait, c’était son exemple qu’on se mettait devant les yeux et son nom qu’on avait