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nemi du mensonge : il avait un de ces esclaves, appelés nomenclateurs, qui savaient le nom et la profession de tous les citoyens de Rome, et il s’en servait, comme les autres, pour faire croire aux pauvres électeurs qu’il les connaissait. « N’est-ce pas abuser et tromper le public ? » disait Cicéron, et Cicéron n’avait pas tort. Ce qu’il y a de plus triste, c’est que ces concessions, qui compromettent la dignité et l’unité d’un caractère, ne servent de rien : on les fait généralement de mauvaise grâce et trop tard ; elles n’effacent pas le souvenir des rudesses passées et ne gagnent plus personne. Malgré ses sollicitations tardives et l’aide de son nomenclateur, Caton n’arriva point au consulat, et Cicéron le blâme sévèrement des maladresses qui le firent échouer. Il pouvait sans doute se passer d’être consul ; mais la république avait besoin qu’il le fît, et aux yeux de beaucoup de bons citoyens c’était presque l’abandonner et la trahir que de favoriser, par des raffinements de scrupules et des exagérations d’honnêteté, le triomphe des plus méchants.

Encore comprend-on ces exagérations et ces excès chez un homme qui a l’intention de fuir l’approche des humains, comme Alceste ; mais ils ne sont plus pardonnables quand on veut vivre avec eux, et encore moins quand on aspire à les gouverner. Le gouvernement des hommes est quelque chose de délicat et de difficile qui demande qu’on ne commence pas par rebuter ceux : qu’on se propose de conduire. On doit assurément avoir l’intention de les rendre meilleurs, mais il faut commencer par les prendre comme ils sont. C’est la première loi de la politique de ne vouloir que ce qui est possible. Caton méconnut souvent cette loi. Il ne savait pas se plier à ces ménagements sans lesquels on ne gouverne pas les peuples ; il n’avait pas assez de souplesse dans le caractère ni ce degré d’intrigue honnête qui fait