Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/308

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prouve que ces gens qui se piquent de ne céder jamais ont tort, c’est qu’ils ne sont pas aussi intraitables qu’ils le supposent, et que, malgré leur résistance, ils finissent toujours par faire quelques concessions. Cet austère, ce rigoureux Alceste, il est du monde après tout, et du meilleur. Il vit à la cour, et on le reconnaît bien, je ne dis pas seulement à ses manières et à sa tournure, quoique je me figure l’homme aux rubans verts mis avec goût et élégance, mais à ces atténuations qu’il emploie, à ces faux-fuyants de politesse qui sont des mensonges aussi, et qu’il ne souffrirait pas chez Philinte. Avant d’éclater contre le grand seigneur au sonnet, il prend des formules adroites où la vérité ne se laisse qu’entrevoir :

Est-ce qu’à mon sonnet vous trouvez à redire ?

— Je ne dis pas cela.

Ce je ne dis pas cela, qu’il répète si souvent, qu’est-ce autre chose, à le juger avec la rigueur du misanthrope, qu’une condescendance et une faiblesse coupables ? Rousseau le reproche durement à Alceste, et je ne crois pas qu’Alceste, s’il reste fidèle à ses principes, trouve rien à répondre à Rousseau. Il ne serait pas difficile non plus de montrer dans Caton des démentis de ce genre. Ce rigoureux ennemi de la brigue, qui d’abord ne voulait rien faire pour le succès de ses candidatures, il finit par solliciter : il allait sur le champ de Mars, comme tout le monde, serrer la main des citoyens et demander leur voix. « Eh quoi ! lui disait ironiquement Cicéron, que ces contradictions mettaient en bonne humeur, est-ce à vous de venir me demander mon suffrage ? N’est-ce pas moi plutôt qui dois remercier un homme de votre mérite qui veut bien braver les fatigues et les périls pour moi[1] ? » Il faisait plus, ce sévère en-

  1. Pro Mur., 36.