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Les caractères de ce genre, honnêtes et absolus, se rencontrent, à des degrés différents, dans la vie privée comme dans la vie publique. À ce titre, ils sont du domaine de la comédie aussi bien que de l’histoire. Si je ne craignais de manquer à la gravité de personnage que j’étudie, je dirais que cette fière réponse que je viens de citer me fait involontairement songer à l’une des plus belles créations de notre théâtre. C’est un Caton aussi que Molière a voulu peindre dans le Misanthrope. À la vérité, il s’agit seulement de la fortune d’un particulier et non pas du gouvernement du monde, et il n’est plus question que d’un procès civil ; mais à ce propos le Caton de la comédie parle tout à fait comme l’autre. Il ne veut pas non plus se plier aux usages qu’il n’approuve pas. Même au risque de perdre son procès, il ne visitera pas ses juges, et quand on lui dit :

Et qui voulez-vous donc qui pour vous sollicite ?

il répond aussi fièrement que Caton :

Qui je veux ? La raison, mon bon droit, l’équité.

Quoi qu’on fasse, ces personnages inspirent toujours un grand respect. Le cœur manque lorsqu’on veut les blâmer, et cependant il faut avoir le courage de le faire. Ce n’est pas avec ces exagérations et ces partis pris de rigueur que la probité, l’honneur, la liberté, toutes les nobles causes enfin, veulent être défendues. Elles ont assez de désavantages par elles-mêmes dans la lutte qu’elles livrent à la corruption et à la licence, sans qu’on les fasse plus déplaisantes encore par une raideur et une sévérité inutiles. Exagérer les scrupules, c’est désarmer la vertu. C’est bien assez qu’elle soit forcée d’être grave ; pourquoi vouloir la rendre rebutante ? Sans rien sacrifier des principes, il est des points sur lesquels elle doit savoir céder aux hommes pour les dominer. Ce qui