Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/305

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

recherche d’originalité piquante, un peu de complaisance qu’on a pour soi-même font bien souvent qu’on aide la nature et qu’on l’accuse avec plus de vigueur. Caton était entraîné à ce défaut par le nom même qu’il portait. L’exemple de son illustre aïeul était toujours devant ses yeux, et son unique étude fut de lui ressembler sans tenir compte de la différence des temps et des hommes. En imitant, on exagère. Il y a toujours un peu d’effort et d’excès dans les vertus qu’on essaye de reproduire. On ne prend que les endroits les plus saillants de son modèle, et l’on néglige les autres, qui les tempèrent. C’est ce qui arriva à Caton, et Cicéron le blâme justement de n’avoir imité que les côtés rudes et durs de son grand-père. « Si vous laissiez prendre, lui dit-il, à l’austérité de votre sagesse quelques teintes de ses mœurs gaies et faciles, vos qualités en seraient plus agréables[1]. » Il est certain qu’il y avait chez le vieux Caton une pointe de verve piquante, de gaieté rustique, de bonhomie railleuse que son petit-fils ne connaissait pas. Il ne prit de lui que la rudesse et l’obstination, qu’il poussa à l’extrême.

De tous les excès, le plus dangereux peut-être est l’excès du bien ; c’est au moins celui dont il est le plus difficile de se corriger, car le coupable s’applaudit lui-même, et personne n’ose le reprendre. Ce fut le défaut de Caton en toute chose de ne pas connaître de mesure. À force de vouloir être ferme dans son opinion, il se rendait inflexible aux conseils de ses amis et aux leçons de l’expérience. La pratique de la vie ; cette maîtresse impérieuse, pour parler comme Bossuet, n’avait pas de prise sur lui. Son énergie allait jusqu’à l’obstination, et son honnêteté avait quelquefois le tort d’être trop scrupuleuse. Ce furent ces délicatesses exagérées qui l’em-

  1. Pro Murœna, 31.