Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/299

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chés à Cicéron, c’est de reconnaître qu’ils étaient sincères. Plus les droits du vainqueur étaient grands, plus il était beau d’y renoncer, et le mérite augmentait encore quand on y renonçait en faveur d’un homme qu’on avait des motifs légitimes de haïr. Aussi l’émotion fut-elle très grande parmi les sénateurs quand ils virent César pardonner à son ennemi personnel, et Cicéron la partagea. Ce qui prouve que toutes ces effusions de joie et de reconnaissance dont son discours est rempli ne sont pas seulement des mensonges oratoires, c’est qu’on les retrouve dans une lettre qu’il adresse à Sulpicius et qui n’était pas écrite pour le public. « Ce jour m’a paru si beau, lui dit-il en lui racontant cette mémorable séance du sénat, que j’ai cru voir la république renaître[1]. » C’est aller bien loin, et rien ne ressemble moins au réveil de la république que cet acte arbitraire d’un maître faisant grâce à des gens qui n’étaient coupables que d’avoir bien servi leur pays. Cette violente hyperbole n’en est pas moins la preuve de l’émotion profonde et sincère que causait alors à Cicéron la clémence de César. On sait combien cette vive nature était ouverte aux impressions du moment. Il se laisse ordinairement saisir avec tant de force par l’admiration ou la haine qu’il est rare qu’il garde la mesure en les exprimant. C’est de là que sont venus, dans le discours pour Marcellus, quelques éloges hyperboliques et quelques excès de compliments dont il est aisé de se rendre compte, quoiqu’on aimât mieux ne pas les y rencontrer.

Une fois ces réserves faites, il ne reste plus qu’à admirer. Le discours de Cicéron ne contient pas seulement des flatteries, comme on le prétend, et ceux qui le lisent avec soin et sans prévention y trouvent autre

  1. Ad fam., IV, 4.