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d’un remords et qu’il échappait aux reproches des malveillants. Aussi, quand il eut obtenu, contre son attente, la grâce de Marcellus, sa joie ne connut-elle pas de bornes. Elle alla jusqu’à lui faire oublier la résolution qu’il avait prise de se taire, et à laquelle il avait été fidèle pendant deux ans. Il prit la parole dans le sénat pour remercier César, et prononça le célèbre discours qui nous est resté[1].

La réputation de ce discours a eu des fortunes très diverses. On l’a longtemps admiré sans réserve, et au siècle dernier, le bon Rollin le regardait comme le modèle et le dernier terme de l’éloquence ; mais cet enthousiasme a beaucoup diminué depuis qu’on est devenu moins sensible à l’art de louer délicatement les princes, et qu’on fait plus de cas d’une parole franche et libre que des flatteries les plus ingénieuses. Il est certain qu’on souhaiterait parfois dans ce discours un peu plus de dignité. On est surtout choqué de la façon dont les souvenirs délicats de la guerre civile y sont rappelés. Il fallait n’en rien dire ou en parler plus fièrement. Devait-on par exemple dissimuler les motifs que les républicains avaient de prendre les armes et réduire toute la lutte à un conflit d’ambition entre deux grands personnages ? Était-ce bien le moment, après la défaite de Pompée, d’immoler Pompée à César, et d’affirmer avec cette assurance qu’il aurait moins bien usé de la victoire ? Pour ne point juger trop sévèrement ces concessions que Cicéron se croit obligé de faire au parti victorieux, nous avons besoin de nous rappeler en quelles circonstances fut prononcé ce discours. C’était la première fois qu’il par-

  1. Il va sans dire que je crois à l’authenticité de ce discours : elle a été contestée pour des raisons qui me semblent futiles. Je répondrai plus loin à celles qui sont tirées du caractère même du discours, en montrant qu’il est moins bas et moins servile qu’on ne le prétend.