Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/296

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fort bien accommodé de l’exil, un républicain obstiné, qui ne voulait pas retourner à Rome pour la voir esclave. Il fallut toute une longue négociation avant qu’il consentît à permettre qu’on implorât pour lui le vainqueur ; encore ne le permit-il que de fort mauvaise grâce. Lorsqu’on lit les lettres que Cicéron lui écrit à cette occasion, on admire beaucoup son habileté, mais on a quelque peine à comprendre les motifs de son insistance. On se demande avec surprise pourquoi il prend au retour de Marcellus beaucoup plus d’intérêt que Marcellus n’en prenait lui-même. Ils n’avaient jamais été très liés ensemble ; Cicéron ne se gênait pas pour le blâmer de son obstination, et l’on sait que ces caractères raides et entiers ne lui convenaient pas. Il faut donc qu’il ait eu pour souhaiter si vivement que Marcellus revînt à Rome quelque motif plus fort que l’affection qu’il avait pour lui. Ce motif, qu’il ne dit pas et qu’on devine, c’est la peur que lui faisait l’opinion publique. Il savait bien qu’on lui reprochait de n’avoir pas assez fait pour sa cause, et lui-même s’accusait par moments de l’avoir abandonnée trop vite. Lorsque du milieu de Rome, où il passait si joyeusement son temps dans ces somptueux dîners que lui donnaient Hirtius et Dolabella, et où il allait, disait-il, pour égayer un peu sa servitude, il venait à songer à ces braves gens qui se faisaient tuer en Afrique et en Espagne, ou qui vivaient en exil dans quelque ville triste et ignorée de la Grèce, il s’en voulait de n’être pas avec eux, et la pensée de leurs souffrances troublait souvent ses plaisirs. Voilà pourquoi il travaillait avec tant d’ardeur à leur retour. Il lui importait de diminuer le nombre de ceux dont les misères formaient un contraste fâcheux avec le bonheur dont il jouissait, ou qui, par leur fière attitude, paraissaient condamner sa soumission. Toutes les fois qu’un proscrit revenait à Rome, il semblait à Cicéron qu’il se délivrait lui-même