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Cet empressement avait sans doute de quoi le flatter, et rien ne devait lui faire plus de plaisir que d’avoir repris son importance. Remarquons cependant qu’en redevenant un grand personnage dont on recherchait l’amitié, dont on fréquentait la maison, il manquait déjà à la première partie du programme qu’il s’était tracé ; la part qu’il prit, vers la même époque, au retour des exilés ne tarda pas à lui faire oublier l’autre. Il avait renoncé à se cacher pour répondre aux avances de César ; nous allons voir comment il renonça à se taire pour le remercier de sa clémence.

On a bien raison d’admirer la clémence de César, et les éloges qu’on en fait sont mérités. Au milieu des guerres sans pitié de l’ancien monde, c’est la première fois qu’on voit luire un rayon d’humanité. Aucun doute n’était encore entré dans l’âme d’un vainqueur sur l’étendue de ses droits ; il les croyait sans limite et les exerçait sans scrupule. Qui songeait, avant César, à proclamer et à pratiquer le respect du vaincu ? Il fut le premier qui annonça que sa vengeance ne survivrait pas à sa victoire et qu’il ne frapperait pas un ennemi désarmé. Ce qui ajoute à l’admiration que sa conduite inspire, c’est qu’il donna ce bel exemple de modération et de douceur dans une époque de violence, entre les proscriptions de Sylla et celles d’Octave ; c’est qu’il fit grâce à ses ennemis au moment même où ses ennemis massacraient ses soldats prisonniers et brûlaient vivants ses matelots avec leurs navires. Cependant il ne faut rien exagérer, et l’histoire ne doit pas être un panégyrique. Sans prétendre diminuer la gloire de César, il est permis de se demander quel motif il avait de pardonner aux vaincus, il est juste de chercher de quelle fanon et dans quelles limites s’exerça sa clémence.

Curion, un de ses meilleurs amis, disait un jour à Cicéron, dans une conversation intime, que César était cruel