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absence avait achevé de déranger sa fortune. Au moment où elle était le plus embarrassée, il avait eu l’imprudence de prêter ce qu’il avait d’argent à Pompée : le poignard du roi d’Égypte avait emporté à la fois la créance et le débiteur. Pendant qu’il essayait de se procurer quelques ressources en vendant ses meubles et sa vaisselle, il découvrit que sa femme s’entendait avec ses affranchis pour le dépouiller de ce qui lui restait ; il apprit que son frère et son neveu, qui s’étaient rendus auprès de César, cherchaient à se justifier à ses dépens, et travaillaient à le perdre afin de se sauver ; il revit Tullia, sa fille chérie, mais il la revit triste et malade, pleurant à la fois les infortunes de son père et les infidélités de son mari. À ces malheurs trop réels se joignent en même temps pour lui des malheurs imaginaires qui ne le font guère moins souffrir ; il est tourmenté surtout par ses irrésolutions habituelles. À peine a-t-il mis le pied en Italie qu’il se repent déjà d’y être venu. Suivant son usage, son imagination inquiète met toujours les choses au pire, et il est ingénieux à trouver dans tout ce qui lui arrive quelque raison d’être mécontent. Il se désole lorsque Antoine veut le forcer à quitter l’Italie ; quand on lui permet d’y rester, il se désole encore, parce que cette exception qu’on fait en sa faveur peut nuire à sa réputation. Si César néglige de lui écrire, il prend l’alarme ; s’il reçoit une lettre de lui, quelque bienveillante qu’elle soit, il en pèse si bien tous les termes qu’il finit par y découvrir quelque motif de s’effrayer ; l’amnistie, même la plus large et la plus complète, ne le rassure pas tout à fait. Quand on pardonne si facilement, dit-il, c’est qu’on diffère sa vengeance[1].

  1. Ad Att., XI, 20, je lis cognitionem au lieu de notionem qui ne me semble pas avoir de sens.