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grandes villes, un système régulier d’impôts, un ensemble de croyances religieuses, une aristocratie ambitieuse et puissante, et une sorte d’éducation nationale dirigée par les prêtres. Cette culture, encore imparfaite, si elle n’avait pas entièrement éclairé les esprits, les avait au moins éveillés. Ils étaient ouverts et curieux, assez intelligents pour reconnaître ce qui leur manquait, assez libres de préjugés pour renoncer à leurs usages quand ils en trouvaient de meilleurs. Dès le commencement de la guerre, ils réussirent à imiter la tactique romaine, à construire des machines de siége et à les manœuvrer avec une habileté à laquelle César rend justice. Ils étaient donc encore rudes et grossiers, si l’on veut, mais déjà tout prêts pour une civilisation supérieure dont ils avaient le désir et l’instinct. Voilà ce qui explique qu’ils l’aient si facilement accueillie. Ils avaient combattu dix ans contre la domination de l’étranger ; ils ne résistèrent pas un jour à adopter sa langue et ses usages. On peut dire que la Gaule ressemblait à ces terres fendues par un soleil brûlant et qui boivent avec tant d’avidité les premières gouttes de la pluie ; elle s’est si profondément imprégnée de la civilisation romaine, dont elle avait soif sans la connaître, qu’après tant de siècles et malgré tant de révolutions elle n’en a pas encore perdu l’empreinte, et que c’est la seule chose qui ait persisté jusqu’à présent dans ce pays où tout change. César n’ajoutait donc pas seulement quelques territoires nouveaux aux possessions de Rome ; le présent qu’il lui faisait était plus beau et plus utile : il lui donnait tout un peuple intelligent, qui fut presque aussitôt civilisé que conquis, et qui, en se faisant romain de cœur aussi bien que de langage, en confondait ses intérêts avec ceux de sa nouvelle patrie, en s’enrôlant dans ses légions pour la défendre, en se jetant avec une ardeur et un talent remarquables dans l’étude des arts et des lettres pour