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Certes on n’était plus au temps où les généraux romains faisaient brûler des chefs-d’œuvre ou se glorifiaient l’être ignorants. Depuis Mummius et Marius, les lettres avaient fini par pénétrer dans les camps, qui, comme on sait, ne sont pas leur demeure ordinaire. Cependant je ne crois pas qu’on ait jamais vu réunis dans aucune armée autant de littérateurs éclairés, autant de gens d’esprit et d’hommes du monde que dans celle-là. Presque tous les lieutenants de César étaient des amis particuliers de Cicéron, et ils se plaisaient à entretenir des rapports assidus avec celui qu’on regardait comme le patron officiel de la littérature à Rome. Crassus et Plancus avaient appris l’éloquence en plaidant à ses côtés, et dans ce qui nous reste des lettres de Plancus on reconnaît à une certaine abondance oratoire qu’il avait bien profité de ses leçons. Trébonius, le vainqueur de Marseille, faisait profession de goûter beaucoup ses bons mots, et il en publia même un recueil. Cicéron, à qui cette admiration ne déplaisait pas, trouvait cependant que son éditeur avait mis trop du sien dans les préambules, sous prétexte de préparer l’effet des plaisanteries et de les mieux faire comprendre. « Le rire est épuisé, disait-il, quand on arrive à moi. » Hirtius était un historien distingué, qui se chargea plus tard d’achever les Commentaires de son chef. Matius, un ami dévoué de César, et qui se montra digne de cette amitié en y restant fidèle, traduisait l’Iliade en vers latins. Quintus était poète aussi, mais poète tragique. Pendant l’hiver où il eut à combattre les Nerviens, il fut saisi d’une telle ardeur de poésie qu’il composa quatre pièces en seize jours : c’était mener la tragédie un peu militairement. Il avait envoyé celle qu’il jugeait la meilleure, l’Érigone, à son frère ; mais elle se perdit en chemin. « Depuis que César commande en Gaule, disait Cicéron, il n’y a que l’Érigone qui n’ait pu faire la