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ne fit pas d’abord grande attention à ce savant jurisconsulte qui lui arrivait de Rome. Il se contenta de lui faire offrir le titre et les avantages d’un tribun militaire, sans les fonctions, bien entendu. Trébatius ne jugeait pas que ce fût un prix suffisant pour la longueur du voyage et les dangers du séjour, et il songeait à revenir. Cicéron eut beaucoup de mal à l’empêcher de faire un coup de tête. Je ne crois pas qu’il y ait dans sa correspondance rien de plus agréable et de plus piquant que les lettres qu’il écrit à Trébatius pour l’engager à rester. Avec ce jeune homme obscur, pour lequel il avait une si vive affection, Cicéron se mettait à l’aise. Il osait rire librement, ce qui ne lui arrivait pas avec tout le monde, et il riait d’autant plus volontiers qu’il le savait triste et qu’il désirait le consoler. Il me semble que cette peine qu’il se donne pour égayer un ami malheureux rend ses plaisanteries presque touchantes, et que le cœur ici prête un charme de plus à l’esprit, Il lui arrive de se moquer doucement de lui pour le faire sourire, et de le plaisanter de choses dont il savait que le bon Trébatius souffrait volontiers d’être raillé. Par exemple, il lui demande un jour de lui envoyer tous les détails de la campagne. « En faits de récits de bataille, lui dit-il, je me fie surtout aux plus peureux[1] ; » probablement parce que, s’étant tenus loin du combat, ils en ont mieux pu voir l’ensemble. Une autre fois, après avoir témoigné quelque frayeur de le voir exposé à tant de périls, il ajoute : « Heureusement je connais votre prudence ; vous êtes beaucoup plus hardi à présenter des assignations qu’à harceler l’ennemi, et je me souviens que, quoique vous soyez bon nageur, vous n’avez pas voulu passer en Bretagne de peur de prendre un bain dans l’Océan[2]. » Pour calmer ses impatiences, il lui fait

  1. Ad fam., VII, 18.
  2. Ad fam., VII, 10.