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France d’aujourd’hui, n’était pas fait pour l’égayer. Il traversa des contrées sauvages, des peuples mal soumis et menaçants, et au milieu de cette barbarie qui lui serrait le cœur, il songeait toujours aux plaisirs de cette ville élégante qu’il venait de quitter. Les lettres qu’il écrivait étaient si désolées que Cicéron, oubliant qu’il avait éprouvé les mêmes regrets pendant son exil, lui reprochait doucement ce qu’il appelait ses sottises. Quand il fut arrivé au camp, sa mauvaise humeur redoubla. Trébatius n’était pas guerrier, et il est probable que les Nerviens et les Atrébates lui faisaient grand’peur. Il arriva juste au moment où César allait partir pour l’expédition de Bretagne, et refusa, on ne sait sous quel prétexte, de l’accompagner : peut-être allégua-t-il, comme Dumnorix, qu’il craignait la mer ; mais, même en restant en Gaule, on ne manquait pas de dangers et d’ennuis. L’hiver, on n’avait pas ses aises dans les quartiers ; on souffrait du froid et de la pluie sous ce ciel rigoureux. L’été, il fallait entrer en campagne, et les frayeurs recommençaient. Trébatius se plaignait toujours. Ce qui ajoutait à son mécontentement, c’est qu’il n’avait pas trouvé tout de suite les avantages qu’il s’était promis. Il n’était pas parti volontiers, et voulait revenir le plus vite possible. Cicéron dit qu’il avait regardé la lettre de recommandation qu’il lui avait donnée pour César comme une lettre de change payable au porteur[1]. Il s’imaginait qu’il n’avait qu’à se présenter pour toucher l’argent et partir. Ce n’était pas seulement de l’argent qu’il était venu chercher en Gaule ; il croyait y trouver de la considération et de l’importance. Il voulait approcher César et s’en faire apprécier. « Vous aimeriez mieux encore, lui écrit Cicéron, être consulté que couvert d’or[2]. » Or, César était si occupé qu’on ne l’abordait qu’avec peine, et il

  1. Ad fam., VII, 17.
  2. Ad fam., VII. 13.